Intitulée « Dilexi te », la première exhortation apostolique du pape Léon XIV publiée ce 9 octobre s’inscrit dans la continuité du pape François en faisant de l’attention aux pauvres la boussole de l’Église. Il appelle les chrétiens à vivre la charité au quotidien, à refuser les idéologies qui conduisent à l’immobilisme et à dénoncer les « structures d’injustice ».
« Dilexi te » – « Je t’ai aimé ». Tel est le titre de la première exhortation apostolique du pape Léon XIV, publiée ce 9 octobre 2025. Élu le 8 mai dernier, le pontife américano-péruvien assume pleinement l’« héritage » du pape François en signant un texte de 121 paragraphes sur « l’amour envers les pauvres ». Faisant de l’attention aux pauvres la boussole de l’Église catholique, le pape appelle les chrétiens à vivre la charité au quotidien, à refuser les idéologies qui conduisent à l’immobilisme ou font perdurer une « économie qui tue », et à dénoncer les « structures d’injustice ». Dans le sillage de son prédécesseur qui avait lancé la rédaction de cette exhortation, Léon XIV réitère son message en faveur des migrants, des femmes maltraitées, des prisonniers ou bien de l’éducation des pauvres.
Dans cette démonstration argumentée, le pape Léon XIV définit les pauvretés – matérielles, culturelles, spirituelles, morales – qui accablent le monde et appelle à une transformation des mentalités. Au-delà de la continuité d’avec François que veut assumer Léon XIV, Dilexi te entend réactiver les grands appels de l’Église pour un engagement total du chrétien dans sa vie quotidienne, par l’aumône par exemple, et dans les affaires de la cité. Voici les quatre appels lancés par Léon XIV dans le premier grand texte de son pontificat.
1 S’engager au quotidien et faire l’aumône
Face à une culture qui « tolère avec indifférence que des millions de personnes meurent de faim ou survivent dans des conditions indignes de l’être humain », Léon XIV s’inquiète vivement des nouvelles formes de pauvreté « parfois plus subtiles et plus dangereuses » et de l’insuffisance des efforts déployés pour les éradiquer. Il interpelle particulièrement les chrétiens, assurant qu’oublier les pauvres serait « sortir du courant vivant de l’Église ».
Le soin des pauvres est « le cœur brûlant de la mission ecclésiale », martèle-t-il. Le pontife américano-péruvien met le chrétien face à sa responsabilité, faisant de l’amour du prochain « la preuve tangible » de l’authenticité de l’amour pour Dieu. L’annonce de l’Évangile, avertit-il également, n’est pas crédible si elle ne se traduit pas en actes.
Au sujet de l’engagement personnel, Léon XIV consacre une longue partie de son texte à l’aumône, souhaitant redonner ses lettres de noblesse à ce geste parfois « méprisé ». Tout en reconnaissant qu’elle ne sera pas « la solution à la pauvreté dans le monde », il exhorte le chrétien à ne pas y renoncer car « il vaudra toujours mieux faire quelque chose que ne rien faire ». L’aumône, assure-t-il, permet de ne pas rester « dans le monde des idées », et représente un moment « de rencontre et d’identification à la condition d’autrui ». Et de glisser : « Dans tous les cas, cela touchera notre cœur. » Plus radicalement, le chef de l’Église catholique rend hommage à tous ceux qui ont choisi de vivre parmi les pauvres, et non seulement dans une charité de visite ponctuelle. Ce choix de vie fait partie des « formes les plus élevées de la vie évangélique », estime-t-il.
2 Refuser les idéologies mondaines et les fausses excuses
Dilexi te démasque un certain nombre d’idéologies et d’orientations politiques et économiques qui influencent le chrétien et le conduisent à l’immobilisme face à la pauvreté. Le texte dénonce en particulier la tendance à dissocier l’annonce de la foi de l’engagement social, en déléguant cette question aux gouvernements.
Léon XIV s’en prend également aux justifications « pseudo-scientifiques » du libre marché, qui attendent que « les forces invisibles du marché résolvent tout ». « La dignité de toute personne humaine doit être respectée maintenant, pas demain », assène-t-il en direction de ces théories économiques.
L’exhortation tacle aussi une vision faussée de la méritocratie, qui estime que la majorité des pauvres le sont faute de mérite personnel. Pour le 267e pape, c’est « cruauté » que d’affirmer que la pauvreté serait un choix délibéré ou le fruit de la paresse.
Le successeur de Pierre s’oppose également à une pastorale réservée aux élites, critiquant les catholiques qui pensent « qu’au lieu de perdre son temps avec les pauvres, il vaut mieux prendre soin des riches, des puissants et des professionnels afin qu’à travers eux l’on puisse parvenir à des solutions plus efficaces ». En réalité, prévient-il en reprenant les mots de son prédécesseur François, toute communauté d’Église qui délaisse les pauvres « court le risque de se désagréger » et d’être « dominée par la mondanité spirituelle, dissimulée sous des pratiques religieuses, avec des réunions infécondes et des discours vides ».
3 Transformer les structures sociales injustes
Dans Dilexi te, Léon XIV dresse le constat sévère d’une société « malade », refermée sur elle-même, où chacun se replie sur ses « propres besoins » et préfère ne pas être dérangé par les souffrances d’autrui. Derrière ce diagnostic, le pape met en lumière les « structures d’injustice » et le « péché social » qui, selon lui, traversent les systèmes économiques, sociaux et culturels.
Le Pape s’adresse alors aux consciences : « Ceux qui sont nés avec moins de possibilités ont-ils moins de valeur en tant qu’êtres humains, doivent-ils se contenter de survivre ? », interpelle-t-il. La réponse à cette question, écrit-il, « détermine la valeur de nos sociétés et donc notre avenir ». Et d’ajouter : « Soit nous reconquérons notre dignité morale et spirituelle, soit nous tombons dans un puits d’immondices. »
Il engage les fidèles catholiques à faire entendre « une voix qui réveille, qui dénonce, qui s’expose même au risque de passer pour des ‘idiots’ ». La religion chrétienne « ne peut se limiter à la sphère privée comme si elle n’avait pas à se préoccuper des problèmes touchant la société civile », insiste le pontife. Pour détruire les structures d’injustice, il énumère des instruments, citant « la force du bien », mais aussi « l’aide des sciences et de la technique » et « le développement de politiques efficaces ».
Le chef de l’Église catholique égrène par ailleurs, au fil de son texte, plusieurs priorités d’action concrète. Il encourage notamment à promouvoir l’accès à l’éducation pour les couches sociales défavorisées, rappelant qu’elle « n’est pas une faveur mais un devoir ». Il incite à œuvrer dans le domaine de l’emploi, considérant qu’aider à trouver « un bon travail » représente « l’aide la plus importante à une personne pauvre ». Et il plaide pour l’attention à l’environnement et à l’urbanisation, en améliorant la qualité « des espaces, des maisons, des villes où vivent et marchent les pauvres ».
4 Relire l’histoire de l’Église : de Jésus à aujourd’hui
Le cœur de l’exhortation apostolique est une réflexion dense sur les racines bibliques et historiques de l’« option préférentielle pour les pauvres ». Ce concept, réactivé en Amérique du Sud et promu par François, affirme que Dieu accorde une attention particulière aux pauvres, invitant l’Église à un « choix décisif et radical en faveur des plus faibles ».
Léon XIV relit l’Ancien et le Nouveau Testament pour montrer que la pauvreté touche « tous les aspects » de la vie de Jésus, véritable « Messie pauvre ». Né dans une mangeoire, fils d’un charpentier, proche des rejetés et des malades, le Christ enseigne qu’on « ne peut pas aimer Dieu sans étendre son amour aux pauvres ».
L’évêque de Rome rappelle ensuite le partage dans les premières communautés chrétiennes, « exemple à imiter », puis retrace deux millénaires d’histoire marqués par des moines, religieuses et laïcs ayant servi les humbles, soigné, libéré, éduqué, accompagné. Citant Léon XIII et la Doctrine sociale de l’Église, le concile Vatican II, Jean Paul II, Benoît XVI et la conférence d’Aparecida, il souligne le « cheminement ininterrompu de l’Église » auprès des pauvres.
Il invite les fidèles à rejoindre « ce fleuve de lumière et de vie qui jaillit de la reconnaissance du Christ dans le visage des nécessiteux ». Enfin, il met en avant la « sagesse » des pauvres, fruit de leur « vie vécue à la limite », qui les rend particulièrement capables de convertir. « Les pauvres ne sont pas une catégorie sociologique », conclut-il, mais « la chair même du Christ ». (Sources Aleteia)
Lecture complète de l’exhortation: Dilexi te