Voir le Salut…dans un enfant !
La fête de la Présentation de Jésus au Temple clôture la série des « épiphanies » (manifestations) du Seigneur, depuis le jour de Noël. Jésus nouveau-né est offert (ou plutôt consacré) par Joseph et Marie à Dieu comme premier-né, selon le « rite de purification de la femme accouchée » que l’on trouve dans la Loi de Moïse (cf. Lv 12, 1-8). Luc ne nous dit pas grand-chose sur le déroulement proprement dit de ce rite liturgique, sinon sur ceux qui viennent à la rencontre de l’Enfant nouveau- né : Siméon et Anne, deux personnages de grande qualité spirituelle, dont Luc souligne la piété, la profondeur de la foi et la confiance indéfectible dans la réalisation des promesses divines. Si saint Luc, dont l’évangile et, surtout, le Livre des Actes des Apôtres sont profondément imprégnés par l’action de l’Esprit Saint, nous dit que Syméon vint au temple « poussé par l’Esprit » (Lc 2, 27), on doit en dire autant de Marie et de Joseph. Et dans cette optique, le rite accompli par Marie en présentant son fils premier-né au temple va au-delà d’une simple obéissance à une prescription de la Loi de Moïse : c’est une véritable manifestation, une « épiphanie » trinitaire ! Marie, sous l’impulsion de l’Esprit, va au temple offrir son fils qui, en réalité, est le Fils du Père, elle rend au Père ce qu’elle a reçu de lui pour le salut du monde. Elle joue un rôle important de « médiation » dans une action dont le protagoniste est Dieu-trinité : poussée par l’Esprit, elle offre le Fils au Père ! Ce don irréversible ne cessera de se répéter jusqu’au bout : lorsque l’heure sera venue, le Fils, Bon Pasteur, donnera sa vie pour ses brebis (Jn 10, 11), tout en attirant sa Mère (par le mystère de la compassion) à communier à ce sacrifice suprême et douloureux d’amour, comme Syméon le prophétise dans cet évangile (cf. Lc 2, 35).
Le vieillard Syméon fait éclater son action de grâces à Dieu, en prenant l’enfant dans ses bras (Lc 2, 28-32). Lui qui n’attendait que ce moment unique pour « s’en aller en paix » (v. 29), lui qui, apparemment, étant à l’article de la mort, était censé avoir une vision déclinante, avait pourtant su garder une acuité visuelle impressionnante : il est capable de discerner « le salut de Dieu » dans un enfant, pourtant si fragile, si humble et si pauvre (les parents n’ont pas d’agneau à offrir, mais des tourterelles ou des colombes).
Et si c’était de cette lumière dont brillaient les yeux du vieillard Syméon en regardant la
« lumière qui se révèle aux nations » (v. 32) dont nous avions besoin ? En effet, la fête de la Présentation de Jésus au temple est également appelée la « Fête de la Chandeleur », fête de la lumière, où une procession aux flambeaux est organisée pour évoquer la montée de la Sainte Famille au Temple. Traditionnellement, le même jour, des cierges étaient bénis et gardés pour présider à tous les événements importants dans la famille. Toute cette symbolique autour de la lumière n’aurait pas de sens si elle n’illuminait pas nos yeux de la foi, pour « voir comme le vieillard Syméon », c’est-à-dire trouver le salut là où on l’attendrait le moins, y compris dans un enfant si pauvre et si démuni. Depuis le temps de Syméon, et même bien longtemps avant, Dieu
refuse de se manifester sous les oripeaux de la toute-puissance et de la grandeur qui terrorisent : Elie a dû découvrir qu’il n’est ni dans le vent fort, ni dans le tremblement de terre, ni dans le feu, mais dans « la brise légère » (cf. 1 Rois 9, 11-13). Aujourd’hui, il est peut-être dans le pauvre dont la situation de plus en plus précaire ne permet pas de joindre les deux bouts du mois, dans la personne âgée désormais seule et presque « abandonnée » par les siens dans un EHPAD, dans un clochard qui mendie au coin de la rue, dans mon voisin dont je ne connais même pas le nom… Et si mes yeux veulent vraiment « voir le salut de Dieu », il faut sans doute suivre le regard de Syméon !
Père Philibert Nkundabarezi